11 février

Yuki et Motoko, 32 et 33 ans, presse et architecture
Dans un petit coin, à l’extérieur, dans le froid, ils se préparaient pour la fête du mariage. La cérémonie était terminée et je suis passé au moment où il fallait. Yuki était debout et bidouillait son téléphone avant qu’une des organisatrice vienne lui poser des questions sur la façon d’appeler certains invités, soit parce qu’elle ne savait pas comment lire les caractères chinois, soit parce qu’elle voulait confirmer.
Les mariages au Japon sont minutés militairement et un mec qui se pointe comme une fleur pour discuter et qui plus est pour faire des photos, ça agace toujours les organisateurs car les mariés, eux, sur un nuage, acceptent toujours de se laisser prendre en photo. Cette femme est donc arrivée et s’est quasiment placée entre Yuki et moi avec tout un tas de carnets pour les ouvrir les uns après les autres et demander ses confirmations, tout en me jetant des coups d’œil qui voulaient dire : « Mais t’es qui toi ?! » Poliment, j’attendais car j’avais déjà eu l’accord de Yuki et Motoko et rien n’allait m’empêcher de faire ce portrait. Contrairement à cette conne, j’étais prêt à prendre mon mal en patience pour obtenir ce que je voulais. Yuki, tout sourire, acquiesçait ou la corrigeait.
Derrière lui, Motoko assise avait deux assistantes qui s’affairaient sur elle, soit à remettre sa robe comme il fallait, soit à la recoiffer et lui mettre sa jolie coiffe qu’elle porte sur la photo. Par la suite, nous attendions, Yuki et moi, que Motoko soit prête et j’en ai profité pour discuter un peu avec lui.
Il travaille dans la presse et édite des magazines apparemment. Il n’a pas hésité à m’en faire la publicité même si je n’ai pas compris le ou les noms des publications. Il a insisté pour que je passe dans le restaurant où il faisait la fête pour voir les magazines, qu’il y en avait à l’entrée et que s’ils n’étaient pas gratuits, ils n’étaient pas chers. J’ai trouvé cela amusant et gonflé de rapporter son travail à son propre mariage, qui plus est pour les vendre. Je n’avais absolument pas le temps de passer car j’ai fait cette photo entre deux rendez-vous et j’étais déjà en retard.
Une fois Motoko prête, j’ai pu l’admirer et ai fait une moue explicite à Yuki qui a sourit encore plus.
– J’ai de la chance hein ?
– Ça, on peut le dire !
Motoko était aussi ravie et souriait tout autant. Les assistantes lui ont remis son bouquet et ont sorti de je-ne-sais-où un haut-de-forme et des gants blancs pour Yuki. Avec son chapeau sur la tête, j’ai ri et lui ai dit qu’il ressemblait à un magicien. Tout le monde a ri et j’ai insisté en lui demandant où était les lapins ce qui a fini de faire rire tout le monde. Le photographe officiel a immortalisé ce moment, je suis donc dans l’album souvenirs. Il en a aussi profité pour les prendre en photo à l’endroit exact où je les avais mis.

Cedric Riveau

1 février

Keiichiro, 24 ans, maintenance et construction
Il était devant la grille de ce système automatique de parking. Il semblait ne rien faire, il semblait attendre et être seul. Je l’ai observé deux minutes avant d’aller lui présenter ma demande. Il ne bougeait pas, la tête vers les plaques mouvantes qui portent les voitures.
Ma demande formulée, il a regardé vers le ciel et j’ai entendu un « Bonjour ! » sonore d’un collègue situé au deuxième niveau de ce parking en plein air et qui se demandait ce qui se passait. Il commençait à m’expliquer que ça ne prendrait pas longtemps, que si je voulais récupérer ma voiture, cela ne posait pas de problème. Il a changé d’air en entendant ma requête par Keiichiro. Il m’a regardé avec un grand sourire, il a regardé son collègue et nous a montré la paume de sa main gauche :
– Attendez un peu s’il vous plaît. Je me renseigne.
Coup de téléphone à sa hiérarchie.
– Apparemment, c’est bon. Mais il faut faire en sorte qu’on ne voit pas le nom de l’entreprise me dit-il en désignant les caractères blancs cousus sur le blouson de travail.
Pendant son appel, j’ai discuté avec Keiichiro qui m’expliquait qu’il venait d’Ome, dans la très lointaine banlieue ouest de Tokyo, à 50 kilomètres de Shinjuku. Selon l’endroit où il se rend, il prend sa voiture ou le train. Le jeune est en intérim et il est bringuebalé d’un endroit à un autre dans un rayon assez important autour de Tokyo : Yokohama, Chiba, Tokyo, Saitama… Souvent, d’un jour sur l’autre, il est dans un endroit différent. Et ce n’est que dans l’après-midi qu’il sait où on va l’envoyer. Au moment de la discussion, il était 11h15 et il ne savait pas où il devait aller le lendemain. J’ai bien essayé à savoir ce qu’il en pensait mais il n’a pas réagi plus que cela. J’étais plus choqué que lui par une situation aussi précaire. Keiichiro avait pris l’habitude et suivait les ordres en bon soldat et avait appris à vivre avec. Lorsqu’il m’a dit qu’il pouvait être envoyé à Chiba, que je lui ai dit que ça pouvait faire 100 kilomètres rien que pour y aller. Il a haussé les épaules, un geste qui voulait dire : « C’est comme ça… »
Au moment où il remplissait ses informations sur le formulaire, nous avons entendu une voix qui venait du centre de la terre :
– Hey Keiichiro, le numéro 7 s’il te plaît.
Je le regardais complètement surpris. Alors qu’il se dirigeait vers un panneau de contrôle, il m’expliqua :
– J’ai un collègue en sous-sol qui vérifie les systèmes.
Je n’avais pas vu que les parking avait aussi un sous-sol et j’ai commencé à regardé comme un petit garçon fasciné par un train qui passe les plaques de parking se mettre à danser. Voilà ce qu’il faisait lorsque je le regardais de loin, surveiller son collègue…
Keiichiro a fini de signer le formulaire et je l’ai laissé à son travail.

Cedric Riveau

28 janvier

Yamada san, 79 ans, arcs et flèches
Je n’ai pu m’empêcher d’ouvrir de grands yeux devant ses deux hommes assis sur un coin de tatami, en train de travailler des flèches. J’étais aux anges de me trouver dans un tel endroit, d’avoir trouver un tel endroit. Le temps s’était arrêté et j’étais entré dans un vieux magasins de Tokyo, un magasin comme je les aime. Tout de suite, j’ai présenté mon projet et ai fait ma demande. Avec une réaction blasée et tout à fait neutre, Yamada san m’a dit que c’était ok, que ça ne posait pas de problème et que je pouvais prendre des photos du magasin.

Cedric Riveau

Voici l’intérieur du magasin :
Cedric Riveau
Cedric Riveau

27 janvier

Hiroma san, 80 ans, retraité
Un sacré papy qui ne voulait pas s’arrêter de parler, qui fait de la photo à ses heures perdues (un compact Leica dans sa poche et un Nikon D7000 avec un téléobjectif dans son sac) et qui portait un manteau de renard noir. Un vrai dandy. Né à Harajuku, il me parlait de la transformation de son quartier et de Shinjuku.

Cedric Riveau